Quelle politique publique pour le grand âge en France ?

Le vieillissement des populations est un des grands bouleversements sociétaux du XXIème siècle, qui impose d’adapter nombre de politiques publiques et notre modèle social en conséquence. De 20% au début du siècle, la part des plus de 60 ans sera d’un tiers en 2040 ; sur la même période les plus de 85 ans, dont 50% souffrent de démence, verront leur nombre doubler à plus de 4 millions de personnes.

Avec une espérance de vie en bonne santé chez les hommes qui a stagné depuis 10 ans (à 62,6 ans), la problématique du vieillissement impose de mettre en place une politique active et ambitieuse du bien vieillir. Notre système médico-social, trop complexe, est à restructurer au sein d’une refondation générale de notre système de santé que propose l’Institut Santé (1).

 

Investir dans le bien vieillir

Une politique du bien vieillir doit se construire dès le plus jeune âge afin que chaque citoyen prenne le plus tôt possible des habitudes favorables à sa santé et fasse des choix en conscience pour sa santé. Bien vieillir, c’est prendre conscience très jeune qu’on a la responsabilité de son capital santé. C’est un investissement sur le capital humain qui reste à faire en France (le gouvernement a bien investi 15 milliards d’euros sur 5 ans sur le plan compétences, faisons-le sur la santé).

Cette politique nécessite aussi qu’une recherche en santé publique de haut niveau soit au service des structures de prévention et promotion de la santé pour qu’elles bénéficient rapidement de l’amélioration de la connaissance et des technologies innovantes. La France doit se doter d’un grand centre de recherche et d’enseignement en santé publique (type Harvard Public Health).

 

Pour une gouvernance simplifiée et décentralisée

Le secteur médico-social français s’est historiquement structuré dans un enchevêtrement complexe, les initiateurs variant selon le type de public concerné. La séparation de la prise en charge de différents publics (enfance, personnes âgées, personnes en situation de handicap, personnes en situation d’exclusion sociale), le nombre particulièrement important de types de structures et services, et les modes de gouvernance et financements partagés (entre l’Assurance Maladie, l’Etat et les conseils départementaux) sont les exemples les plus criants de cette complexité récurrente.

Le contrôle des structures médico-social médicalisées, par les Agences régionales de santé depuis 2009, montre aujourd’hui son inefficacité. Cette étatisation entraîne inévitablement un isolement de ce secteur pourtant crucial pour la prise en charge de la transition démographique. Les moyens alloués justement pour la médicalisation de ces structures sont insuffisants et participent à la saturation actuelle du système de soins sur le volet hospitalier.

Promouvoir une politique de l’autonomie ambitieuse nécessite de sortir du carcan d’une approche qui considère encore aujourd’hui la perte d’autonomie comme une fatalité qu’il est nécessaire de compenser par des dispositifs et des structures spécialisées. Changer de cap impose de changer la focale en considérant que l’anticipation des conséquences du vieillissement doit être une priorité. Ce basculement implique de fait, de revoir diamétralement l’offre de services en la simplifiant, en considérant le domicile comme le lieu prioritaire de cette anticipation et en considérant aussi que l’hôpital public n’a pas à se substituer à des structures gériatriques médicalisées.

Cela nécessite de changer les modèles de gouvernance. En premier lieu en consacrant à la Caisse Nationale de solidarité pour l’autonomie sa juste place dans le pilotage et l’adressage des financements. En second lieu, en confirmant par une démocratie sanitaire et sociale forte, la participation des financeurs aux décisions prises pour ce secteur. Cela implique d’une part de reconsidérer la place d’un Etat aujourd’hui omniprésent dans des arbitrages de dotations d’assurances sociales, et de reconnaître l’expertise des Conseils départementaux, spécialisés dans l’évaluation des besoins et l’orientation des publics ciblés. D’autre part, de donner le pouvoir de choix et de décision aux citoyens dans le cadre d’une démocratie sanitaire et sociale renforcée (1).

 

Un financement solidaire intégré à l’assurance santé publique obligatoire

Pour le financement, notre système de Protection Sociale est organisé historiquement sur un modèle assurantiel. Or la mise en place de pansements financiers temporaires, comme l’organisation d’une journée de solidarité en 2004 ne constituent pas des réponses viables au regard de la démographie pour les 20 ans à venir.

Ce financement pourrait s’inspirer de l’hybridation historique de notre système de Protection sociale : une assurance obligatoire de soins longue durée (avec une montée en charge progressive, pour tous, à partir de 40 ans) intégrée à un système national d’Assurance Santé (dominante assurantielle) et le maintien de logiques assistancielles spécifiques pour les personnes les plus vulnérables, garantissant l’équité de la prise en charge de la perte d’autonomie.

Le pic de la perte d’autonomie arrivera dès 2025, c’est donc maintenant qu’il faut agir. La réforme du médico-social doit être intégrée à la refondation globale de notre système de santé, dont la crise de l’hôpital public montre l’état d’urgence.

 

 

Evelyne Bersier, Professeure de Sciences Sanitaires et Sociales, Docteur en droit de la santé, ESPE – AMU (Aix-Marseille Université), Membre de l’Institut Santé ; Benoit Godiard, Enseignant agrégé en sciences médico-sociales, Université Savoie Mont-Blanc, Membre de l’Institut Santé ; Pierre-Henri Bréchat,Médecin spécialiste en Santé Publique et en Médecine Sociale, Membre de l’Institut Santé ; Frédéric Bizard, Economiste, Professeur affilié ESCP Europe, Président fondateur de l’Institut Santé

 

(1) « Et alors ! La réforme globale de notre système de santé, c’est pour quand ? » – Plaidoyer pour une refondation de notre système de santé- Dirigé par Frédéric Bizard, Editions Fauves, novembre 2019