Hôpital : à quoi peut servir la manifestation du 14 novembre ?

Débutée le 18 mars 2019 à l’hôpital St Antoine, la crise des urgences concerne encore près de 270 services et la gronde a gagné les autres services hospitaliers, en attendant la possible généralisation aux autres secteurs. Le gouvernement n’est pas resté inactif mais il a agi trop tard et trop peu. La manifestation nationale du 14 novembre est le point d’orgue d’une crise dont il est encore possible de sortir par le haut.

 

L’hôpital, un joyau dilapidé en 20 ans

Pas de hasard si l’hôpital est en état de mort clinique. L’accord sur les 35 heures en 2002 à l’hôpital, comprenant 20 jours de RTT, à ressources humaines quasiment constantes, a généré une surcharge de travail et des tensions sociales sans précédent pour les soignants. A ce cadeau empoisonné est venue s’ajouter l’instauration d’une gouvernance d’entreprise dans la loi dite Bachelot de 2009 avec un seul patron et une large démédicalisation du pilotage de l’hôpital. Bureaucratie et gestion comptable à l’excès ont créé un choc d’inattractivité qui a conduit à 30% des postes médicaux vacants.

Comme si cela ne suffisait pas, la loi dite Touraine de 2016 a créé une nouvelle strate technocratique, les groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui a relocalisé dans les mains de l’administration centrale toute décision d’investissement et de gestion des ressources humaines. La loi dite Buzyn de 2019 a été au bout cette logique en instaurant une commission médicale d’établissement pour ces GHT, finissant de dépouiller les établissements de leur capacité de pilotage du projet médical.

A cette déstructuration hospitalière sont venus s’ajouter les coups de rabot des budgets de financement des dépenses de santé depuis 10 ans, avec des valeurs (prix & salaires) qui ont baissé de -0,3% en moyenne et des volumes qui ont augmenté de 2,8% par an. Cette maitrise des dépenses par la déflation a épuisé le personnel soignant et retardé la modernisation des hôpitaux par les innovations technologiques. Malgré cette situation, le budget 2020 voté à l’Assemblée Nationale maintient la même ligne, avec un pouvoir (Bercy) droit dans ses bottes.

Outre ces erreurs politiques, c’est aussi la non adaptation du modèle hospitalier et de l’ensemble de notre système de santé à la triple transition démographique, épidémiologique et technologique qui accélère la désintégration. Ce qui a fait le succès de l’hôpital au XXème siècle – le temps plein hospitalier, la quasi exclusivité hospitalière des trois valences soins de recours-recherche-enseignement, un fonctionnement en vase clos – fait aujourd’hui son échec. L’assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) et ses 39 hôpitaux est l’archétype d’un modèle en fin de vie tant il est devenu technocratique et rigide.

 

Investir massivement tout en engageant la refondation globale du système de santé

Une fois le diagnostic posé, on voit que la réussite d’une sortie de crise par le haut passe par deux actions indissociables : un plan d’investissement massif sur 5 ans en santé et une refondation globale de notre système de santé. Le premier point implique de comprendre que la santé n’est pas un coût mais probablement le premier levier de création de richesse au XXIème siècle. Pour le second, une convergence de vue peut être trouvée à court terme.

L’Institut Santé vient de publier un programme complet de refondation à travers un livre (1). C’est un premier exercice de convergence puisque ce programme a réuni une grande diversité de sensibilités politiques et professionnelles. La société civile est bien prête pour cette refondation.

L’indispensable virage stratégique du soin vers la santé illustre à lui tout seul le risque de seulement renflouer l’hôpital, par essence centré sur le curatif. C’est à partir des besoins en santé de la population (bien-portants et malades) que le système doit désormais être piloté, impliquant de construire un pôle institutionnel en santé publique innovant, qui pilotera le grand plan d’investissement. La gestion des besoins de santé sera confiée aux professionnels de santé à partir de territoires de santé définis par la loi, qui seront le principal échelon géographique opérationnel en santé pour les Français. C’est un tripe effort de rationalisation, de réallocation de ressources et de révolution culturelle.

Cette révolution touche de plein fouet l’hôpital qui pourrait y voir une menace existentielle de ce qui est en fait un exercice de transformation pour se réinventer. Le service public hospitalier devient un service public territorial de santé partagé avec les professionnels de santé de la ville et du médico-social. Cela implique comme à Berlin en 1989 de faire tomber les murs (entre la ville et l’hôpital). Le temps plein hospitalier est remplacé par un temps choisi à l’hôpital, grâce à une approche contractuelle plus souple et évolutive dans le temps. L’indispensable revalorisation salariale ira de pair avec cette restructuration des carrières hospitalières.

Dans ce nouveau monde, une institution aussi centralisée et régionalisée que l’APHP n’a plus sa place et chaque hôpital se fond dans son territoire. Le renforcement de centres de référence et d’excellence de niveau mondial pour la recherche, les soins très complexes est à mener à l’échelon régional. La refondation comprend aussi une réorganisation globale de la gouvernance nationale et régionale (des professionnels et des produits de santé), de l’architecture du financement des dépenses et la dynamisation de l’accès pour tous aux innovations disruptives.

 

Comme cela a souvent été le cas dans les grandes réformes de santé à l’international, les gouvernements agissent au pied du mur, contraint par un contexte de crise profonde. Ce contexte arrive à maturité en France. Si la manifestation du 14 novembre agit autant sur les consciences pour exiger plus de ressources que pour cette refondation, son utilité citoyenne sera forte.

En effet, la société civile est prête mais l’Etat ne l’est pas.  Il procrastine encore et toujours en santé.

Il est encore temps pour nos dirigeants d’être au rendez-vous de l’histoire pour reconstruire en France un système de santé de référence mondiale, force d’unité de la nation, d’égalité entre les citoyens et de prospérité économique !

 

 

(1) « Et alors, la réforme globale de la santé, c’est pour quand ? Plaidoyer pour une refondation de notre système de santé », Ouvrage collectif dirigé par Frédéric Bizard, Editions Fauves, novembre 2019, institut-sante.org

 

 

Signataires

Les signataires sont les membres du Comité d’orientation stratégique de l’Institut Santé

 

Catherine Audard, Philosophe, London School of Economics (justice sociale) ;  Pr Jean-Marc Ayoubi, Chef de service de gynécologie-Obstétrique hôpital Foch, Professeur à la faculté de médecine de l’UVSQ ; Perle Bagot, Directrice associée au Hub Institute (nouvelles technologies) ; Evelyne Bersier, Professeure de Sciences Sanitaires et Sociales, ESPE-AMU (droit de la santé); Frédéric Bizard, Economiste, Professeur affilié, ESCP Europe, Président Fondateur de L’Institut Santé ; Alain Coulomb,ancien directeur de la Haute Autorité de santé ; Florence de Rohan-Chabot, Psychiatre, Praticien Hospitalier, Maison Blanche;  Christelle Galvez, Directrice des soins, Centre Léon Bérard à Lyon ;  Alain Deloche, Professeur de chirurgie, co-fondateur de « Médecins du monde », fondateur de l’association « La Chaîne de l’espoir » ; René Frydman, Gynécologue-Obstétricien, Professeur des Universités ; Nathalie Kearjean-Pons, Pharmacien Hospitalier, chef de service AP-HP ; Patricia Paterlini-Bréchot, Professeure de biologie cellulaire et d’oncologie à la faculté de médecine Necker-Enfants Malades ;  Olivier Saint-Lary, Médecin généraliste, Professeur des Universités, Vice-Président du Collège National des Généralistes enseignants (CNGE) ; Philippe Sansonetti, Professeur au Collège de France, Chercheur à l’Institut Pasteur et à l’INSERM ; David Sourdive, Co-fondateur et Vice-Président de Cellectis (Biotechnologie).

Article paru dans le Point le 23 novembre 2019