Quand la politique de santé se transforme en conte de fées !

Publiée dans Le Monde le 1er Juin 2018

Marisol Touraine promit aux Français qu’ils ne paieraient plus quand ils iront chez le médecin.

Agnès Buzyn va plus loin en leur promettant de ne plus rien payer chez le dentiste, l’opticien et l’audioprothésiste.

Comme sur les photos de Dina Goldstein, les citoyens se doutent bien que ce conte de fée politique ne pourra avoir qu’une sinistre fin !

Une santé bradée pour la classe moyenne et de qualité pour la classe supérieure

Après celui de 2012, le deuxième conte de fée de la santé gratuite est sur le point de prendre forme en 2018. Les Français payaient en direct un quart des dépenses chez les trois professionnels de santé (soit 4,5 milliards d’euros), la baguette magique gouvernementale va bientôt éliminer ce reste à charge.

Le citoyen se doute qu’il y a un loup dans cette affaire puisqu’il faut bien que quelqu’un paie. L’assureur privé va financer en partie l’ancien reste à charge, faisant reporter cette dépense sur les primes des contrats. Outre cette rente supplémentaire pour les assureurs, le loup provient de la forte inflation des coûts d’accès aux soins puisqu’avec des frais de gestion de 30% pour les assureurs et 25% pour les mutualistes, le coût réel payé 100% par un contrat d’assurance est bien plus élevé que l’autofinancement d’une partie des dépenses.

Sachant que la durée moyenne d’une paire de lunettes est de 3 ans, le coût de l’assurance  sur 3 ans pour un retraité est de 792 euros alors que l’achat du produit revient à 280 euros !

C’est la raison pour laquelle la plupart des pays développés n’assure plus les lunettes.

La question centrale est la suivante : les Français sont-ils prêts à sacrifier la qualité de leurs soins en contrepartie de ne rien payer en direct ? Il n’y a en réalité aucune baguette magique mais une santé bradée pour répondre à cette promesse populiste et démagogique de la santé gratuite.

Ainsi, le gouvernement va annoncer dans les trois secteurs l’instauration de paniers de soins sans reste à charge, à prix réduit et plafonné, qui représenteront une partie de l’ensemble des soins actuels. On parle d’un tiers en optique et de 45% en dentaire. N’hésitant pas à prendre des vessies pour des lanternes, on va nous annoncer que la Dacia est l’équivalent de la BMW.

Cette mesure est une vraie destruction du modèle français solidaire qui vise à garantir l’égalité face à la qualité des soins. Si les paniers de soins sans reste à charge seront accessibles à tous, le reste des soins, qui comprendront l’innovation et la qualité de service, ne sera plus accessible qu’à une minorité.

En effet, la contrepartie d’un taux de couverture de 100% par les assureurs privés est un désengagement de leur part sur le reste des soins dans les contrats standards. Le rêve de l’assurance privée se profile, le gouvernement supprime l’aléa du prix, renforçant la rentabilité des opérateurs financeurs, qui ne jouent plus le rôle d’assureur mais de caisse d’épargne (à coûts gigantesques).

Les paniers de soins de qualité auront un prix libre, condition pour que la concurrence (régulée) entre professionnels de santé libéraux se fassent sur l’innovation et la qualité des soins, et auront une couverture assurantielle très dégradée.

Le premier épisode du conte de fée se termine donc avec une santé bradée gratuite, une santé de qualité accessible uniquement aux plus riches et des primes d’assurance en forte hausse pour tous !

Le modèle de santé gratuite recherchée conduit au modèle américain

Le principe de santé gratuite existe au Royaume-Uni. Le système NHS est structuré pour cela : un financement et une régulation étatique, des opérateurs de soins publiques, un parcours de soins sans liberté de choix. La maitrise des dépenses passe largement par le rationnement des soins, à partir de files d’attente. Le secteur privé assurantiel et sanitaire est réservé aux plus riches pour éviter le rationnement. Certains experts et politiques français défendent une évolution à l’anglaise et rêvent d’un grand système public national de santé.

S’il a sa cohérence, il est adapté à une société d’inspiration utilitariste qui ne se préoccupe pas de l’égalité des chances entre les individus mais de l’utilité totale à l’échelle de la population. Seul un système de soins avec un payeur unique et des offreurs de soins publics peut fonctionner dans ce modèle.

D’où cette politique anti-exercice libéral menée ces dernières années, qui a tout autant affaibli le secteur public que désertifié médicalement de nombreux territoires.

En réalité, notre politique de santé gratuite nous dirige à marche forcée vers le modèle américain. Celui-ci est structuré autour des réseaux de soins des assureurs privés, qui obligent l’assuré à ne consulter que les professionnels référencés par le réseau et ces professionnels à ne prescrire que ce qui autorisé, sauf à payer les dépenses soi-même. Le projet français de santé gratuite d’inspiration socialiste n’a rien de social, c’est un formidable creuset à inégalité sociale et à exclusion de la classe moyenne d’une médecine de qualité.

Ce projet est ourdi depuis des années par les assureurs privés qui se sont donnés les moyens de leur politique en achetant de nombreux leviers d’influence, comme le rachat par la mutuelle MNH du premier groupe de médias et services aux professionnels de santé (dont « Le Quotidien du médecin »« Le Généraliste »« Le Quotidien du Pharmacien »). Leur objectif est d’imposer une pensée unique et de tenter de rendre tout autre scénario de réforme impossible.

La nomination du n°2 d’un assureur privé à la tête du cabinet de la ministre de la Santé en mai 2017, tout comme le pantouflage d’anciens membres de cabinets ministériels dans les conseils d’administration des plus grands assureurs, est un autre symptôme de l’influence croissante du secteur sur la conduite de la politique de santé ces dernières années.

Une tribune récente des patrons des trois familles assurantielles nous explique les vertus des contrats à reste à charge zéro mais conditionnent leur réussite au renforcement du pouvoir de régulation des assureurs via ces réseaux de soins. On nous expliquait jusqu’à maintenant que ces derniers faisaient baisser les prix et les restes à charge, ce qui est devenu inutile puisque les premiers sont plafonnés et les seconds supprimés par l’État.

Le deuxième épisode du conte de fée nous fait donc traverser l’Atlantique pour découvrir non pas le rêve américain de l’immigré pauvre qui fait fortune mais le cauchemar américain d’une classe moyenne mal soignée et dotée d’une espérance de vie par les plus faibles de l’OCDE.

Comme expliqué supra, cette mauvaise qualité s’accompagne d’une inflation des coûts du système (18% du PIB aux USA contre 9,5% en moyenne dans l’OCDE).

Une évolution en contradiction avec le sens de l’histoire

Outre la destruction de l’assise républicaine de notre modèle de santé, cette évolution est totalement à contre-courant de l’histoire. La gestion du risque chronique, le vieillissement massif de la population et l’hyper-révolution technologique conduisent à une démocratisation de la santé, dont le libre choix et la capacité d’agir de l’assuré sont des piliers.

Passer à un seul financeur par prestation, évoluer vers des comptes personnalisés de santé de l’assurance maladie incluant prévention et soins, transparence des contrats privés, autorité de défense des droits des assurés…

C’est une réforme globale du financement dont le système a besoin, tout en respectant les principes fondateurs, dont le triptyque républicain de valeurs. La force de notre système de santé repose d’abord et avant tout sur ses valeurs et ses principes fondateurs. Toute refondation doit les renforcer et non les affaiblir ou les supprimer.

La fin du conte de fée est connue, un accès aux soins de qualité qui va se restreindre de plus en plus à une partie réduite de la population, des inégalités de santé qui vont prospérer, le tout dans un système de plus en plus coûteux. « Quand le sage montre la lune, l’idiot, lui, regarde le doigt ». Pas sûr que les Français acceptent encore longtemps d’être pris pour des idiots en santé.

Frédéric Bizard

 

Publiée dans Le Monde le 1er Juin 2018