La Santé dans la société du XXIème siècle

Un nouvel ordre social


Toute réforme du système de santé doit s’appuyer sur une « philosophie », une conception de la société et de l’individu, comme ce fut le cas pour les fondateurs de la Sécurité sociale. Mais la société française a profondément changé depuis 1945 : elle est en train de passer d’une société de statuts à une société d’individus.

À condition de comprendre que ce « nouvel individualisme » n’est pas le triomphe de l’égoïsme, on peut envisager une société d’individus qui soit juste au sens d’une égalité réelle des personnes.

Alors qu’une société de statuts est profondément injuste parce qu’exclusive et fermée, une société d’individus est ouverte car elle accepte le risque, la concurrence, la liberté de choisir comme la possibilité de l’échec, mais elle n’est pas injuste si les principes Rawlsien de liberté, d’égalité des chances et de différence sont respectés, et si la sécurité des plus défavorisés est réellement garantie.

Si l’on comprend l’individu de manière développementale, la protection de statuts figés apparaît bien comme l’obstacle à son développement. Quand on considère que l’individu est un être qui a un horizon vers lequel se projeter, un individu « capable », pour reprendre l’expression de l’économiste Amartya Sen, capable de développer ses potentialités tout au long de sa vie, on voit clairement que c’est lui, pas le statut, qu’il faut protéger en lui donnant les chances de se développer librement.

Le geste réformateur impose une remise en question des objets mêmes du système : le médecin, l’hôpital, les pratiques, la rationalité et avant tout le patient, ce citoyen, acteur central et premier concerné.

Il doit traiter l’individu « capable » non comme le bénéficiaire passif des aides sociales et du système de santé, mais comme un acteur à part entière de sa santé qui devient sa responsabilité sur le long terme. Le rôle du système de santé en conséquence est de se mettre au service du développement de chacun, de l’aider à protéger ce bien. Il ne peut plus se contenter d’intervenir seulement en aval, pour faire face aux urgences et aux crises.

Au contraire, intervenir au plus tôt, investir dans les différents temps de la vie, pourrait permettre d’éviter l’émergence de pathologies liées à différents déterminants comportementaux. Il s’agit là d’une véritable révolution que ces transformations sociales nécessitent. Le but de la protection sociale doit être de combiner sécurité et justice au lieu de sacrifier l’une à l’autre, comme dans la société de statuts.
Telle est la conception philosophique de l’individu et des rapports aux autres qui pourrait guider une réforme du système de santé qui mettrait l’individu « capable » au cœur de l’institution, sur la base de rapports sociaux « horizontaux », respectueux de l’autonomie, de la capacité d’anticipation, d’initiative des personnes, de leur engagement vis-à-vis de leur santé, de leur avenir.


Un nouvel ordre médical

La réforme du système de santé est urgente en raison des transformations profondes de l’ordre médical.

La santé aujourd’hui ne correspond plus seulement à la réduction ou à l’annulation d’une pathologie définie, elle se donne pour objectif de protéger et d’améliorer la qualité de vie de chaque individu. Dans cette nouvelle perspective, il n’est pas possible de fixer objectivement un seuil théorique et pratique, valable pour tous, à partir duquel on pourrait dire que les besoins de santé sont entièrement et définitivement satisfaits.

Ce nouvel ordre doit s’attacher à dépasser l’espace médical pour s’insérer véritablement dans la santé au sens large.

 

Le droit à la santé est un droit à l’égalité d’accès à une offre de soins, de prévention et d’information. Mettre ainsi en capacité les individus de rester le plus longtemps en bonne santé est une demande de justice.

Les représentations de la santé ont dépossédé l’individu de l’idée que sa santé dépendait avant tout de lui, et de ses comportements. C’est cette idée qu’il faut mettre, au contraire, au centre de tout projet de réforme. Les bouleversements sociétaux que nous avons mis en lumière ne permettent plus de penser la santé sous la forme d’un sujet s’en remettant passivement à l’État Providence.

Le nouveau paradigme doit au contraire refléter le nouvel ordre médical comme le nouvel ordre social en mettant l’individu au sens défini plus haut, responsable et « capable », au cœur du système de santé, par un processus d’empowerment qui le sort de sa minorité (Kant) et de sa dépendance, de sa passivité vis-à-vis du système où il est traité comme un consommateur sans pouvoir et un patient sans savoir. C’est là que réside la possibilité de limiter la croissance infinie des besoins et des coûts.

Comme pour Michel Crozier, l’Etat moderne en ce domaine est celui qui créé les conditions pour que le citoyen s’assume.