La refondation décoiffante de l’Institut Santé – Quotidien du médecin -28/10/2022

Par. Julien Moschetti – Cyrille Dupuis

Publié le 28/10/2022 dans le QDM

Service public territorial de santé, nouveau contrat thérapeutique, big bang du financement : l’Institut santé, organisme de recherche présidé par l’économiste libéral Frédéric Bizard, avance un programme ambitieux de reconstruction.

 

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En pleins travaux du CNR santé, c’est un programme qui remet les pieds dans le plat. À l’issue d’un travail de recherche multidisciplinaire et transpartisan lancé dès 2019, l’Institut santé – composé de personnalités du secteur et de la société civile – propose une refondation globale touchant l’organisation des soins, l’hôpital, la ville, les patients ou la gouvernance.

 

450 territoires cohérents

À l’instar de l’Ordre des médecins, le think tank fondé par Frédéric Bizard milite pour un pilotage fin de la santé au plus près de chaque territoire, permettant de gérer « à partir des besoins des usagers ». La bonne échelle ? Environ « 450 bassins de vie » couvrant en moyenne 150 000 habitants. Leurs « missions de soins et de santé publique » seraient réévaluées tous les cinq ans. Président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), le Pr Olivier Saint-Lary défend cette approche par secteurs « homogènes et cohérents » qui se substituerait à la territorialisation existante (GHT, CPTS) « très disparate »« Les CTPS ne couvrent pas les mêmes territoires que ceux de PDS-A. Idem pour la sectorisation en psychiatrie. Il y a des effets de bord majeurs », argumente le Pr Saint-Lary. C’est dans le cadre de ce service public territorial que les questions de déserts médicaux, de permanence des soins, d’inégalités de santé seraient gérées. L’idée serait de « prioriser », au cas par cas, complète le Pr René́ Frydman, membre du comité d’orientation stratégique. Parfois, « la réponse sera sur les urgences, ailleurs, sur ce qui concerne la naissance ou les cancers. Tout se grefferait sur cette réorganisation territoriale : le financement et la politique de santé publique », imagine le gynécologue-obstétricien.

Côté usagers, l’Institut Santé avance l’idée d’un « contrat thérapeutique » pour les patients chroniques à 100%. Ce dealserait passé entre le coordinateur médical, le patient et l’assurance santé. Objectif : renforcer l’efficience de la prise en charge des pathologies chroniques et mieux maîtriser les dépenses. Le patient demeurera libre du choix de son référent médical pour la coordination mais la contractualisation sera obligatoire pour obtenir le remboursement à 100 %.

À l’hôpital, rééquilibrage médico-administratif

L’institut juge prioritaire de renforcer l’ancrage territorial de l’hôpital et de le libérer de ses contraintes. Côté gouvernance, le conseil de surveillance serait remplacé par un conseil d’administration doté d’un pouvoir de codécision sur la stratégie et la gestion avec un rôle accru des représentants de patients. Le think tank recommande un « rééquilibrage médico-administratif », sur le modèle de la fédération Unicancer qui permet à des médecins, assistés d’un directeur administratif, de diriger les établissements.

Alors que les tensions s’aggravent sur les ressources humaines, les carrières hospitalières font l’objet de multiples propositions : mobilité accrue, revalorisation de la pénibilité en lien avec la permanence des soins, souplesse de temps de travail, « système d’intéressement pour les praticiens qui dépasseraient les seuils moyens d’activité », etc. Le statut PU-PH serait transformé. « On ne peut pas demander à une seule personne d’être enseignante, chercheuse, responsable de soins et souvent manager, c’est source de dysfonctionnements », observe le Pr René́ Frydman. D’où l’idée d’opter pour une valence d’enseignement ou de soins et « de la faire réellement sans la déléguer ».

 

Un virage ambulatoire, enfin ? 

Pour l’Institut Santé, la mise en place du contrat thérapeutique précité pour chaque patient en ALD déplacera leur centre de gravité vers la ville et stimulera la médecine de parcours. Les équipes de soins primaires et les spécialistes seront valorisés sur « des missions clairement définies en contrepartie d’un financement à sa juste valeur et d’une autonomie renforcée », avance le think tank

La permanence des soins ambulatoires (PDS-A) deviendrait une mission partagée ville/hôpital. Elle s’appuierait sur des maisons médicales de garde (MMG) où cohabitent hospitaliers et libéraux. Un projet d’investissement d’« un milliard d’euros » est ici jugé nécessaire pour couvrir chaque territoire d’au moins deux MMG (soit 900 à 1000 au total). Les praticiens libéraux ou salariés y seraient rémunérés sur la base d’un forfait de PDS-A « équivalent à celui de l’hôpital », variable selon la pénibilité. Et pour éviter la distorsion avec l’hôpital, les patients ne paieront pas ces soins non programmés. « Si on souhaite que le secteur ambulatoire puisse aider pleinement, les règles de jeu doivent être strictement identiques entre la ville et l’hôpital », cadre le Pr Saint-Lary.

 

Ministre de la santé publique 

L’institut défend un État « stratège » en santé publique. À cet effet, une « loi d’orientation et de programmation sanitaire à cinq ans » permettrait une vision politique, des objectifs sanitaires, une allocation des ressources à moyen terme et une réactualisation budgétaire annuelle avec débat parlementaire. Le think tank juge urgent au passage de mettre fin à l’émiettement actuel en fusionnant les multiples organismes (SPF, HCSP, HCAAM, ANAP…) dans une agence nationale de santé publique devenue « le centre de gouvernance de l’État sanitaire ». Un ministre délégué à la santé publique aux compétences interministérielles hériterait de cete stratégie.

 

Payeur unique 

La proposition la plus iconoclaste réside dans la mise en place d’une nouvelle architecture de financement avec un « payeur unique par prestation ». Exit le système à deux étages, jugé « le plus coûteux du monde en frais administratifs ». Dans le nouveau modèle, la Sécu deviendrait financeur exclusif de la plupart des prestations – mutuelles et assurances se positionnant sur les paniers de soins non couverts en tant qu’organismes supplémentaires d’assurance santé. À la clé, affirme l’Institut Santé : une meilleure gestion du risque, davantage de lisibilité pour les assurés, un pilotage plus dynamique des prestations et des tarifs pour favoriser l’innovation et la réduction des coûts de gestion.

Julien Moschetti

 

Publié le 28/10/2022 dans le QDM