Covid19 : une crise sanitaire sans conséquence pour notre système de santé ?

Avec plus de 30 000 morts et un confinement collectif générateur d’une crise économique et sociale inédite depuis la deuxième guerre mondiale, la crise sanitaire du Covid19 a été un révélateur des atouts mais aussi des faiblesses du fonctionnement de l’Etat et de notre système de santé. Ce stress test vécu par la plupart des systèmes de santé dans le monde est une opportunité pour initier une refondation du nôtre, dont la nécessité ne peut plus être sérieusement occultée mais sont la réalisation se fait attendre !

Avant la crise, l’Institut Santé avait déjà publié un programme de refonte de notre système de santé (1), dont au moins trois leçons que l’on peut tirer de la crise du Covid19 rappellent l’impérieuse nécessité.

 

L’hôpital est performant quand il est autonome et centré sur le soin

La première leçon concerne la restructuration de l’hôpital, dont la crise du Covid19 a démontré la forte réactivité, la capacité d’innovation et de mobilisation de l’ensemble des ressources lorsqu’il est libéré du carcan managérial et technocratique habituel. Pour que cette situation devienne la norme et non l’exception, trois mesures sont à prendre.

L’offre de soins, dont l’hôpital, doit être pilotée de façon décentralisée à l’échelle régionale et territoriale. En interne à l’hôpital, l’approche décentralisée conduit à une autonomie des pôles médicaux, dont la constitution médicale et de services est à centrer autour des besoins des parcours des usagers. Cette autonomie effective de gestion et d’administration reposera sur le couple médecin /administratif avec une prééminence du soin (donc révision de la loi HPST de 2009).

Le service public hospitalier est à faire évoluer vers un service public territorial de santé partagé avec les professionnels de santé de la ville et du médico-social, quel que soit leur statut. Le temps plein hospitalier est le socle du fonctionnement mais s’accompagne pour les praticiens qui le souhaitent d’un un temps choisi à l’hôpital.

Ceci nécessite de faire évoluer les ordonnances Debré de 1958 tout en respectant les objectifs initiaux d’autonomie des hôpitaux et de recherche d’excellence dans les soins et la recherche. La prise en compte de missions de groupes (et non plus individuelles) partagées avec les praticiens de ville est une autre évolution significative qui implique un choix évolutif des valences (soins, recherche, enseignement) et non plus cumulé.

On voit que, si la revalorisation salariale est une mesure indispensable pour redynamiser les carrières hospitalières, elle sera insuffisante pour rétablir l’attractivité de l’hôpital public.

 

Le centralisme administratif est incompatible avec une gestion efficace des besoins de santé des territoires et une démocratie sanitaire éclairée

La prise de contrôle de la gouvernance du système de santé par l’administration française a conduit le système à fonctionner selon les deux grands principes de cette dernière, déjà décrits par Michel Crozier dans les années 80. Le principe de stratification qui gouverne l’emploi des personnels d’une part et le principe de centralisation qui gouverne les décisions d’autre part. Alors que des vies humaines étaient en jeu, la lenteur des décisions pour la commande et la distribution des masques, la lourdeur des procédures d’homologation et de mise à disposition des tests proviennent de ces principes. La comparaison avec l’Allemagne et sa gestion décentralisée et pragmatique de la crise est édifiante (4 fois moins de décès et un impact économique moindre).

Sortir de cette gouvernance technocratique centralisée (représentée par les CNP, ARS, GHT…) est la véritable rupture à opérer dans la réforme systémique. Il faut définir dans la loi, de façon napoléonienne, des territoires géographiques de santé à l’échelle desquels une démocratie sanitaire pilotera l’offre de santé au plus près des besoins de santé.

Passer d’une gestion par l’offre de soins à une gestion qui ne tienne compte que de la demande de santé provoquera ce qu’aucune réforme n’a réussi à faire tout en affichant les objectifs : décloisonner les trois secteurs du soin, développer la prévention, réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. Chaque professionnel se responsabilise au niveau d’un territoire et non plus uniquement à partir de son établissement ou de son cabinet puisqu’ il s’agit toujours de lier l’hôpital à la ville dans le cadre du parcours de soin.

 

L’Etat a largement pâti pendant la crise de la désorganisation de notre santé publique

La crise sanitaire a largement démontré la faiblesse de l’organisation de l’Etat en santé publique, le privant d’une capacité adéquate d’anticipation et de réaction. L’atomicité des agences et leur fonctionnement trop bureaucratique ont produit une grande cacophonie dans les avis scientifiques pour la population. Le gouvernement a tenté d’y mettre de l’ordre par un comité scientifique ad hoc, dont la prise de parole était moins audible que la multitude d’experts, auto-investis d’une mission officielle d’éclaireur public, qui se relayaient avec des avis divergents dans les médias. Ils comblaient un vide et ne peuvent être blâmés pour cela.

L’indispensable virage stratégique et culturel du soin vers la santé est le deuxième changement de cap qui doit accompagner celui allant vers une gouvernance territoriale démocratique. Il faut rationnaliser les multiples agences au sein d’un pôle institutionnel fort de santé publique, cumulant à la fois une réelle indépendance et un réel pouvoir d’organisation, de planification et d’exécution d’une politique de santé publique. Fort de cette restructuration, l’Etat sera en mesure d’investir massivement pour que la santé en France soit aussi éducation, environnement, recherche, innovation, réduction des inégalités sociales pour optimiser le bien-être mental, physique et social de chaque individu et pas seulement soigner des malades.

La leçon essentielle de cette crise est peut-être que le titre donné par l’OMS à la France en 2000 de « meilleur système de santé au monde » était justifié en son temps mais ne pouvait perdurer au XXIème siècle qu’au prix d’une restructuration profonde du système. La crise a été un révélateur brutal de cette réalité. Elle doit être maintenant un accélérateur pour rebâtir un système de santé à la hauteur de ce que les Français se font de leur société, leur civilisation et leur culture.

 

Jean-Marc Ayoubi, Chef de service de gynécologie-Obstétrique hôpital Foch
Professeur à la faculté de médecine de l’UVSQ ; Catherine Audard, Philosophe, London School of Economics ; Evelyne Bersier, Docteur en droit de la santé; Frédéric Bizard, Professeur d’économie affilié ESCP, Président de L’Institut Santé ; Pierre-Henri Bréchat, médecin spécialiste en santé publique ; Florence de Rohan-Chabot, Psychiatre, Praticien Hospitalier;  Alain Coulomb : Ancien directeur de la Haute Autorité de Santé ; Christelle Galvez, Directrice des soins, Centre Léon Bérard, Lyon ;  Alain Deloche, Professeur de chirurgie, co-fondateur de « Médecins du monde », fondateur de l’association « La Chaîne de l’espoir » ;René Frydman, Gynécologue-Obstétricien, Professeur des Universités ; Benoit Godiard, Enseignant agrégé en sciences médico-sociales, Université Savoie Mont-Blanc ; Richard Hasselmann, Président de Libr’Acteurs ; Patrizia Paterlini-Bréchot, Professeur de biologie cellulaire et d’oncologie à Necker ; Olivier Saint-Lary, médecin généraliste Président des Universités, Vice-Président du CNGE ; Philippe Sansonetti : Professeur au Collège de France, microbiologiste.

 

 (1) « Et alors, la réforme globale de la santé, c’est pour quand ? Plaidoyer pour une refondation de notre système de santé », Ouvrage collectif, Editions Fauves, Lauréat du meilleur livre de l’économie de l’année 2020.

 

Tribune parue dans Les Echos le 27 aout 2020